Les projets de centre commerciaux géants se multiplient en France. Ils profitent d’une législation très favorable grâce au lobbying des grands acteurs et dans une logique de plus en plus immobilière.
C’est plus de deux millions de mètres carrés par an qui sont autorisés chaque année. À peine un projet est-il terminé qu’on accorde l’autorisation à d’autres à quelques kilomètres de distance. L’année dernière, on comptait au total 66 millions de m² de centres commerciaux. Et encore, c’est sans compter les surfaces de moins de 1.000 m², car les statistiques pour ces petites surfaces ne sont plus mises à jour depuis 2008. Les projets sont de plus en plus pharaoniques, ces centres deviennent aussi ludiques. On y va pour passer sa vie, on y entre à 9 h et on en sort à 21 h. Ce ne sont plus des centres commerciaux pour s’approvisionner, c’est de l’industrie touristique et les gens peuvent venir de loin.
Par exemple, à Nice, le projet du tramway va relier le port, où accostent les bateaux de croisière, et l’aéroport, avec le nouveau centre commercial. La ligne sera directe et les touristes n’iront plus en centre-ville. C’est exactement le même problème à Marseille, où les gens descendent directement des bateaux de croisière pour aller au centre commercial les Terrasses du Port.
Pourquoi y a-t-il plus de centres commerciaux en France qu’ailleurs ?
C’est vrai que nous sommes les champions d’Europe du nombre de mètres carrés commerciaux. C’est que la réglementation est particulièrement favorable. La loi Royer de 1973 avait mis des critères qui contenaient le développement de la grande distribution. Les projets devaient respecter le code de l’urbanisme, et les promoteurs devaient présenter une attestation certifiant que le projet respectait bien le plan local d’urbanisme et d’autres règlements. S’ils ne les respectaient pas, un projet pouvait être refusé. Mais, depuis 1996, ce certificat d’urbanisme n’est plus nécessaire. On peut déposer des projets en zones inondables.
La loi Royer avait aussi instauré des schémas de développement commerciaux avec une densité de mètres carrés en fonction du nombre d’habitants, pour préserver un équilibre entre centre-ville et périphérie. Mais avec la loi de modernisation de l’économie de 2008, Nicolas Sarkozy a fait sauter ce critère. Il a aussi supprimé l’obligation de comparer le nombre d’emplois créés par le centre commercial à ceux détruits en centre-ville. Ou encore retiré la représentation des commerçants dans les commissions d’autorisation de centres commerciaux. Désormais, dans ces commissions, il n’y a plus que des politiques, et on voit le résultat !
De plus, depuis 2014, les associations environnementales ne sont plus considérées comme des personnes ayant intérêt à agir contre les autorisations de centres commerciaux. Elles ne peuvent plus lancer des procédures de recours.
Et enfin, c’est tout nouveau, en mars 2016, le contrôle des surfaces commerciales illicites a été supprimé. Donc si un promoteur construit plus que ce à quoi il a droit, personne ne contrôlera. On se demande pourquoi ils demandent encore des autorisations !
Comment expliquer que cette législation puisse être aussi favorable ?
Les lobbies. C’est la pression des promoteurs qui veulent couler du béton : Bouygues et Vinci sont sur tous les grands projets. Avant, il y avait un prix au mètre carré, l’élu signait, et l’argent allait au parti. Mais depuis la loi anticorruption de Beregovoy, en 1993, on ne peut plus monnayer la signature des élus. Comme on ne pouvait plus contourner la loi, les lobbys ont fait pression pour la modifier. Par exemple, la loi de modernisation de l’économie, on la surnomme la « loi Leclerc » !
Mais la consommation stagne, alors pourquoi continuer à construire, comment gagnent-ils de l’argent ?
Les centres commerciaux sont amortis en cinq, sept ans. Déjà, quand vous achetez quelque chose à 20 euros dans un hypermarché, eux l’auront acheté 3 euros. Ensuite, les centres commerciaux sont détenus par les filiales immobilières d’Auchan, Leclerc, Carrefour, Intermarché, etc. Ce sont eux qui récupèrent les loyers payés par les commerçants dans les galeries marchandes.
Enfin, pour eux le but est de posséder de l’immobilier. Quand on vend de la marchandise, il n’y a pas de garantie, on n’est pas certain qu’elle sera vendue. C’est pour cela que la grande distribution est devenue immobilière, parce que c’est matériel, c’est une garantie de revenu pour les actionnaires. On est dans un système où ils ne parlent que de patrimoine immobilier, de la part que ce patrimoine représente en parts de marché de centres commerciaux. Plus ils en ont, plus ils ont de garanties, et plus ils peuvent obtenir des capitaux pour continuer d’investir.
Cela ressemble à une course infernale, comment peut-on l’interrompre ?
Aujourd’hui, on en est au stade de l’inondation, le territoire est saturé de centres commerciaux. Désormais, à chaque fois que l’un des principaux acteurs dépose un projet, les autres attaquent en justice pour le contester. Car, quand un concurrent arrive, c’est 30 % de baisse de chiffre d’affaires. Ils se battent entre eux. Mais le problème est que, quand il n’y a plus que des gros qui se battent, il ne reste plus de petits. La seule solution, c’est d’unir nos luttes, et notamment de se battre pour que les associations environnementales récupèrent les droits de recours.
Mieux utiliser les centres commerciaux actuels avant d’en augmenter le nombre .