André Marcon : “Nous ne sauverons pas tous les centres-villes et ce sera la faute des élus”

222. C’est le nombre de petites et moyennes villes retenues dans le cadre du plan national “Action cœur de ville” présenté par le gouvernement fin mars 2018. Ce plan de 5 milliards d’euros s’inspire du rapport sur la des centres des petites et moyennes villes réalisé par André Marcon, maire de Saint-Bonnet-le-Froid et ex-président de l’Assemblée française des chambres de commerce. Il y met en exergue la nécessité de laisser la liberté aux commerçants de pouvoir travailler le dimanche. Il préconise aussi la mise en place de stratégies globales dans les intercommunalités, avec une gouvernance transversale. Quatrième volet de notre série consacrée à la revitalisation et l’attractivité des centres-villes de la région.

Par Stéphanie Gallo | | 1907 mots

 
Quelle était la feuille de route fixée par le gouvernement ?

 

ANDRE MARCON. Le gouvernement m’a confié la réalisation de ce rapport, fin décembre, dans le cadre du plan “Cœur de ville” annoncé en novembre 2017. Il souhaitait avoir l’avis des parties prenantes des centres-villes et des experts du commerce, de proximité et de grandes surfaces. L’objectif étant d’avoir des préconisations qui pourraient être mises en place dans le cadre du plan mais aussi via de futures lois.

 

L’idée de départ était d’émettre des propositions pour aider les commerçants de centre-ville : des moratoires, des aides spécifiques etc. Mais nous nous sommes très vite aperçus que le sujet n’était pas là. Nous avons rapidement dévié de notre commande initiale “vous commerçants, que voulez-vous pour que votre commerce se développe” pour aller vers “que faut-il faire pour qu’il y ait plus de monde dans les centres-villes ?”.

 

Les modes de consommation ont aujourd’hui évolué. Les consommateurs font leurs achats sur le web ou en périphérie dans les grandes zones commerciales et bon nombre de logements de centre-ville sont vacants. Vouloir revitaliser les centres-villes des petites et moyennes villes…, n’est-ce pas perdu d’avance ? Et au-delà même de la réussite de ce vœu pieu, n’est-ce pas inutile puisque les besoins sont satisfaits autrement ?

 

En réalité, nous constatons que les jeunes populations n’ont plus le même appétit qu’il y a quelques années pour aller habiter en périphérie. Ils se rendent compte qu’ils sont extrêmement dépendants de la voiture, que les trajets sont trop pénalisants pour aller travailler, acheter son pain, emmener les enfants aux activités etc.

 

Ces populations sont de plus en plus disposées à venir vivre en centre-ville car elles veulent arrêter de gâcher leur vie dans la voiture. Pour les convaincre, les maires n’ont plus qu’à avoir des arguments solides.

 

Lesquels ?

 

En premier lieu, une offre d’habitat adaptée, en aménageant des quartiers historiques par exemple. Aujourd’hui, les bailleurs sociaux ont envahi les centres-villes car le foncier n’était pas cher. Mais il faut que tous les bailleurs s’y intéressent afin d’offrir des logements de qualité à des prix compétitifs.

 

Ensuite, ces populations doivent trouver près de chez elles les services publics, les services du quotidien, une vie sociale. Des poches de vie sociale doivent être multipliées dans les centres-villes, c’est ce que recherchent ces nouveaux urbains. En l’espèce, les espaces de coworking sont par exemple d’excellents arguments.

 

Et bien entendu, les commerces de proximité doivent être très présents, avec des produits de qualité répondant aux attentes de ces nouveaux consommateurs disposant de plus de pouvoir d’achat.

 

On peut imaginer effectivement que ces nouvelles populations s’installant en ville consommeront au plus près de chez elles. Mais quid de tous les clients extérieurs ? Est-il possible de les faire revenir en centre-ville pour faire leurs achats alors qu’elles ont pris leurs habitudes dans les grandes surfaces souvent installées en périphérie ?

 

Pourquoi ces consommateurs vont-ils dans ces grandes surfaces de périphérie ? Par facilité tout simplement. Ils peuvent se garer rapidement, acheter tout ce dont ils ont besoin au même endroit et à un tarif compétitif. L’enjeu est donc de leur offrir la même chose en centre-ville.

 

Les commerces de centres-villes doivent donc être parfaitement accessibles. Il faut réfléchir à toutes les solutions pour faciliter le : des parkings dans le centre ou en extérieur mais avec des navettes pratiques, autonomes pourquoi pas. On peut imaginer aussi de nouveaux services permettant aux clients de récupérer leurs achats directement à la conciergerie du parking, afin d’éviter d’avoir à les porter.

 

Je pense que les collectivités et l’Etat doivent investir dans ces nouvelles voies plutôt que de penser à des exonérations de charges des commerçants. Ce serait beaucoup plus efficace.

 

Par ailleurs, les commerçants doivent évoluer. Selon moi, ils doivent aujourd’hui faire office de tiers de confiance, avec des showrooms et un minimum de stocks. Leur travail n’est plus de commander une collection et de chercher toute l’année à écouler leur stock mais d’expertiser la demande du client, d’amener une plus-value au produit. Les commerçants doivent se saisir de ces nouveaux modes de consommation plutôt que de se plaindre de la concurrence des grandes surfaces.

 

Je dois dire néanmoins que je vois de plus en plus émerger ce type de nouveaux commerçants. Ils ne font qu’une partie de leur vente sur place et utilise les outils digitaux. C’est l’avenir, les clients sont en demande car tous les besoins ne peuvent être satisfaits par l’e-commerce.

 

Aujourd’hui, quel est l’état des lieux des centres-villes des petites et moyennes villes ?

 

Il est extrêmement disparate. Certains vont très bien, notamment ceux dont les marchés hebdomadaires sont très vivants. D’autres sont dans un état catastrophique. C’est pour cette raison que nous ne préconisons pas, dans notre rapport, une méthode unique. Chaque territoire devra réfléchir à sa propre stratégie. Ce qui suppose que chaque intercommunalité, chaque communauté d’agglomération prenne les choses en main.

 

C’est facile à dire mais ce n’est pas si facile à faire car les gouvernances des intercommunalités en la matière sont compliquées. II existe très souvent des positions différentes entre la ville centre et les communes environnantes. Ces dernières pensent que la plus grosse a assez de moyens et qu’elle peut se débrouiller seule. La ville centre estime elle, souvent, que la périphérie lui met des bâtons dans les roues en autorisant des installations ou des agrandissements de grandes surfaces venant martyriser son centre-ville.

 

Le constat que nous faisons dans notre rapport, et que nous posons comme principe, est que la ville centre est le totem de son territoire. Avec un cœur dynamique, ce sont toutes les communes environnantes qui en profitent.

 

Les villes centres sont des étendards. Elles doivent faire entendre ce discours dans leurs intercommunalités respectives afin que les stratégies d’aménagement soient globales et cohérentes. Il s’agit de définir des priorités, d’avoir une action de défibrillateur pour ranimer les centres-villes.

 

Dans la région, quels centres-villes sont symptomatiques ?

 

Annonay par exemple. Cette ville est installée sur une pente forte, avec aucun parking sur les rues commerçantes. C’est très problématique mais il y a forcément des solutions, la collectivité doit y réfléchir. A Vichy, le centre-ville est intéressant, mais les générations ne sont pas assez mixées. Au Puy-en-Velay, les populations doivent se réapproprier l’habitat de centre-ville. Montbrison représente aussi un centre-ville intéressant. Elle doit fixer ses populations alors qu’elle se situe dans l’aire métropolitaine de Saint-Etienne.

 

Quelles sont les recommandations principales de votre rapport ?
D’abord, les élus doivent se professionnaliser et suivre des formations pour bien comprendre les problématiques des centres-villes car ce sont des questions transversales et complexes.

 

Ils doivent prendre leurs responsabilités pour monter leur plan stratégique avec l’ensemble des acteurs et avec leur intercommunalité. A eux de s’entendre et de définir leurs priorités. Ceux qui réussiront seront ceux qui joueront collectifs, même si ce n’est pas du tout dans la culture française.

 

Deuxième préconisation : il faut que ces villes mettent en place des gouvernances. Les centres-villes doivent avoir le même type de fonctionnement que les centres commerciaux : des managers de centre-ville doivent être mis en place aux côtés des élus avec des compétences élargies ne s’arrêtant pas au commerce (transports, gestion des déchets, événementiel, habitat…). L’objectif étant d’avoir des équipes dédiées faisant fonctionner les centres-villes.

 

Nous souhaitons par ailleurs que le maximum de moyens soient investis dans l’habitat et l’aménagement du centre-ville.

 

Dans ce rapport, vous évoquez également la concurrence d’Internet…

 

Oui, il faut absolument trouver une solution pour que les GAFA soient taxés de la même façon que les commerçants. Ils doivent participer à la vie sociale de notre pays et avoir les mêmes contraintes que les commerces physiques, grandes surfaces ou détaillants.

 

Vous remettez également sur la table la question de l’ouverture des commerces le dimanche…

 

Avec les 35 heures, le pays s’arrête le vendredi à 15h. Mais si le pays s’arrête, il faut qu’il s’occupe. Il faut bien que certains travaillent donc… Je suis catholique pratiquant mais où-est-il écrit qu’il est interdit de travailler le jour du Seigneur ? Dans les villes touristiques, les commerces sont ouverts le dimanche et tout le monde est très content.

 

Les plus grandes oppositions que je vois se trouvent chez les commerçants. Pourtant, ils doivent réfléchir. Par exemple, pour un commerce alimentaire, est-il plus judicieux d’être ouvert entre 14h et 17 h ou de 17h à 20h ? C’est ce type de questions qu’il faut se poser.

 

Idem pour le dimanche. Cette journée est propice aux achats d’impulsion, pourquoi s’en priver ? Pourquoi ne pas fermer un autre jour de la semaine à la place ? Les commerçants ne peuvent pas se plaindre en permanence de la concurrence des grandes surfaces et ne pas faire d’efforts.

 

Mais je ne souhaite pas imposer le travail le dimanche à tous. Chacun doit réfléchir à ce qui est le mieux pour lui. En revanche, tous les commerçants qui le souhaitent doivent pouvoir ouvrir le dimanche. Au nom de quoi les empêche-t-on de travailler ?

 

Quels types de commerces faut-il favoriser pour animer les centres-villes ?

 

Je ne peux pas dire d’un côté qu’il est indispensable de laisser la liberté de commercer et d’un autre privilégier un certain type d’activités. La concurrence et la demande des clients feront le tri.

 

Le plan “Cœur de ville” a été détaillé quelques jours seulement après la remise de votre rapport au gouvernement. Vos recommandations ont-elles pu être prises en compte ?

 

Oui bien sûr, parce que j’ai tenu au courant le gouvernement de nos travaux et de nos préconisations au fil des avancées.

 

Que pensez-vous de ce plan ?

 

C’est le défibrillateur dont je parlais tout à l’heure et dont les centres d’un certain nombre de petites et moyennes villes ont besoin. Beaucoup de moyens vont être dédiés à l’habitat, c’est une très bonne chose.

 

De plus, il est clairement indiqué que les villes doivent avoir de vrais projets. Il n’y aura pas d’argent sans vraie stratégie. C’était une de nos recommandations majeures.

 

Je suis satisfait aussi de l’évolution de ce plan. Au départ, il devait être réservé seulement aux centres-villes en difficulté. Or, il est nécessaire aussi d’accompagner les territoires qui risquent de passer du mauvais côté, qui ont un intérêt réel pour la vie locale.

 

On ne pourra pas sauver tous les cœurs de ville, c’est évident, mais ce ne sera pas la faute de l’Etat, ce sera celle des élus locaux qui n’auront pas su prendre les bonnes décisions.
 
Des réserves ?
5 milliards ont été mis sur la table. Il en aurait fallu 20 évidemment…

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