Les tiers-lieux au service des Z.A.E.

Nous observons depuis nombre d’années une inexorable dynamique de concentration des emplois. Tout d’abord vers les métropoles, tendance qui devrait se poursuivre dans les prochaines années puisque, selon France Stratégie, les prévisions d’embauche concernent majoritairement des emplois qui se concentrent au sein de ces grandes aires urbaines (ingénieurs de l’informatique, personnels de recherche, cadres administratifs, fonctions de communication-marketing).

Les centres des petites et moyennes villes déclinent depuis des années pour de nombreuses raisons. Manque de visions stratégiques, investissements dans des (Zone d’activités économiques) qui achèvent les centres-villes… Et si l’on en finissait avec ces ZAE périphériques pour en faire des outils de développement économique local pour que la France ne soit plus moche ?
Hervé Bolard

En finir avec les ZAE périphériques ?

Vers les territoires industriels à forte valeur ajoutée ensuite, qui regroupent des entreprises, des laboratoires de recherche et des organismes de formation dont la mise en synergie permet de développer des projets innovants.
Enfin vers les territoires à forte attractivité résidentielle, notamment le long du littoral, avec le développement d’une économie présentielle telle qu’elle a été théorisée par Laurent Davezies.

 

Parallèlement, de nombreuses petites et moyennes villes déclinent un peu partout en France. Leurs centres-villes se dévitalisent à mesure que l’extension continue de zones d’activités économiques (ZAE) et commerciales se poursuit en leur périphérie. Il s’agit aujourd’hui d’un véritable enjeu national, qui fait débat et dont l’Etat vient de se saisir comme en témoigne la récente annonce du programme « Action cœur de » par le ministère de la Cohésion des Territoires.

 

Contribuant à l’accélération de l’artificialisation des sols , le rythme d’extension des ZAE dépasse le plus souvent celui de la création d’emplois, soulignant les limites d’une d’aménagement extensive. Il est temps d’adopter une vision différente : après 50 ans de développement extensif des territoires, l’heure est au renouveau en faveur, cette fois-ci, d’un développement économique intensif.

 

Les limites d’une politique d’aménagement extensive

A poursuivre de mauvais indicateurs, on mène des stratégies inefficaces ! Nous faisons ici une proposition allant dans ce sens, à savoir la (ré)activation des ressources « dormantes » du territoire par la mise en mouvement et en réseau des entreprises, notamment celles localisées dans les ZAE.

 

Pour rappel, plus de 50 % des emplois sont concentrés dans ces zones (75 % si l’on considère uniquement la sphère productive). Il faut donc s’adresser aux entreprises qui les occupent, aller les chercher là où elles se trouvent – retranchées en périphérie des villes – et les reconnecter aux centres-villes pour faire émerger de nouvelles dynamiques vertueuses sur les territoires

 

En près de 50 ans, les ZAE sont devenues les principaux poumons économiques des territoires grâce à une diversification vers l’accueil d’activités de services.

 

Hélas, leur développement s’est fait au détriment des villes centres. A titre d’exemple, selon l’INSEE, 85 % des nouvelles entreprises installées dans l’une des ZAE du Rhône sont le fruit d’un transfert d’établissement intra départemental : on peut dès lors difficilement parler de création de nouveaux emplois, bien que certains déménagements sont liés à une croissance de l’activité de l’entreprise.

ZAE contre centre-villes

Cette absence de création nette d’emplois doit interroger les collectivités au moment de décider d’aménager ou non de nouvelles zones pour proposer aux entreprises des ZAE « nouvelle génération ».

ZAE en péril

En effet, au-delà des coûts qu’ils font peser sur les finances publiques locales (voir notamment les investissements dans l’aménagement des espaces publics, des voiries, des réseaux, de l’éclairage, etc.), ces nouveaux développements se font au détriment des ZAE pré-existantes, souvent laissées en déshérence et menacées par l’obsolescence de leurs infrastructures et l’inadéquation de leurs services.
Sur ces territoires, les stratégies de relance de l’activité économique par la recherche d’une attractivité exogène se heurtent de manière générale à une absence d’avantages comparatifs.

 

En cause, notamment, la distance vis-à-vis des grands pôles urbains qui concentrent les investisseurs, leur manque d’accessibilité, l’absence de profondeur du marché du travail…. Au-delà du poids des facteurs d’échec, qu’ils soient ou non relatifs aux politiques publiques, la conception même des ZAE en circuit fermé et déconnecté des centres-villes est à mettre en lien avec les phénomènes suivants :
des centres-villes économiquement affaiblis : le taux de vacance dans les villes moyennes est passé de 6% en 2010 à 10,5 % en 2015 (15% si l’on exclut les villes moyennes touristiques).
Selon la fédération Procos, 62 % du CA commercial se fait en périphérie contre 25% en centre-ville et 13 % dans les quartiers, contre respectivement 33% en Allemagne
l’augmentation des déplacements domicile-travail entrainant des difficultés d’accès pour de nombreux salariés, notamment les moins qualifiés …
Selon l’INSEE, seulement 10% des salariés en ZAE résident dans la commune où ils travaillent contre 26% pour les salariés hors ZAE dans les quartiers, contre respectivement 33% en Allemagne
l’accroissement de la consommation de foncier agricole, qui défigure et uniformise les entrées de villes et villages partout en France,
D’après l’article de la revue du CGDD, Urbanisation et consommation de l’espace, une question de mesure, les créations et extensions de ZAE sont responsables de 25 % des nouvelles surfaces artificialisées
et enfin à la difficile mobilisation des entreprises sur les questions qui concernent le devenir de leur territoire d’implantation.
« Il n’y pas de territoires sans potentiel, il n’y a que des territoires démobilisés ! ». Nous partageons la conviction de Frédéric Gilli même si nous avons conscience que les stratégies de mobilisation échouent le plus souvent à impliquer les entreprises dans la construction du modèle de développement du territoire.Malgré leur importance, les ZAE semblent être les grandes oubliées des stratégies de développement économique des collectivités territoriales. Celles-ci n’interviennent d’ordinaire qu’en tant qu’aménageur et commercialisateur de foncier. Et beaucoup plus rarement comme gestionnaire ou opérateur de services (moins de 10 % des ZAE en Ile-de-France sont véritablement gérées).De plus, quand ils existent, ces services (restauration d’entreprise, conciergerie…) sont en règle générale gérés par des opérateurs privés qui :

  • ont industrialisé leur processus et travaillent avec des opérateurs nationaux, n’entrainant que très peu de retombées économiques pour le territoire d’ancrage
  • n’envisagent pas ces lieux comme des outils de développement territorial.
  • Une gestion des ZAE à repenser et des acteurs à remobiliser

Il est donc urgent que les collectivités repensent l’attractivité des ZAE au-delà de la simple concurrence sur les prix du foncier : leur articulation au territoire (et notamment leur lien avec les centres-villes riches en aménités), leur accessibilité et surtout leur animation. Plutôt que de multiplier les modèles actuels de ZAE, l’objectif doit être de stimuler l’émergence de nouveaux « circuits courts », fondés sur un ancrage local et une réciprocité économique incluant tous les acteurs du territoire.

Transformer les ZAE en plateforme de services mutualisés
Pour ce faire, pourquoi ne pas développer pour les ZAE des espaces hybrides offrant des services et des solutions mutualisés aux salariés et aux entreprises ?

Ils en feraient de véritables leviers d’un développement économique endogène, résilient et inclusif, au bénéfice de :

  • la vitalité commerciale du centre-ville, en favorisant la vente au sein de conciergeries ou de points relais des produits des commerçants locaux indépendants (pressing, panier de marché, lavage et réparation de véhicules, …), mais également en proposant aux entreprises d’ouvrir dans une cellule commerciale vacante du centre-ville, un showroom de leurs savoir-faire 
  • la filière agricole locale, en proposant des restaurants inter-entreprises avec approvisionnement en circuit de proximité issu de la production responsable ;
  • la qualité paysagère du PAE en créant des exploitations maraichères sur des fonciers dégradés ou vacants ou sur des toits d’entrepôts pour faire des ZAE des espaces nourriciers de la ville ;
  • le lien social en créant des jardins partagés, des activités sportives ou culturelles en lien avec les associations ou lieux existants sur le territoire ;
  • l’activité de l’entreprise, en mutualisant des services, équipements ou espaces (salles de réunion, espaces de coworking),
  • la croissance de l’entreprise, par le développement d’offres de locaux flexibles pour lui éviter d’avoir à déménager dans une autre ZAE et par l’accueil de services d’accompagnement et en y organisant des animations et du coaching 
  • la transition écologique en proposant de l’ingénierie sur l’aménagement des espaces publics ou privés, ou sur les moyens de favoriser la production locale d’énergie, de traiter et valoriser des déchets industriels et de l’accompagnement sur des dispositifs de mobilité inclusive (auto partage, vélo en libre-service, bus privé, plateforme de mobilité,..) ;
  • des finances publiques, l’intensification et la densification des ZAE existants, le développement de tels lieux étant bien moins coûteux que l’aménagement de nouvelles ZAE.

Des tiers-lieux au secours des centres-villesretail

En parallèle de cette stratégie de valorisation de l’activité économique locale, il s’agit de mettre en réseau les entreprises en ZAE avec les habitants, les associations, les artistes,… en articulant ces espaces avec les « lieux des communs » existants.

L’essor de ces tiers-lieux (fablabs, infolabs, coworking, …) est révélateur de plusieurs mouvements émergents, notamment autour du numérique, de la transformation des filières traditionnelles et de la place centrale des usages dans la création de nouveaux services ou produits. Mais ils souffrent d’une hétérogénéité des formes, d’un manque de structuration et qui sont surtout invisibles vis-à-vis des entreprises présentes sur le territoire.

On pourrait ainsi imaginer favoriser dans les centres-villes :

  • le développement de nouveaux modèles d’organisation et de travail qui s’inventent dans les tiers lieux qui polarisent l’open innovation
  • l’innovation dans les PME par la formation des dirigeants aux nouvelles méthodes appliquées dans la « nouvelle économie »
  • la transformation organisationnelle et notamment digitale des PME et ETI ;
  • la rencontre des acteurs issus de diverses cultures socio-économiques, et par effet de fertilisation croisée, la production et le partage de connaissances, la créativité et l’émergence de formes d’innovation territorialisées et différenciantes ;
  • l’expérimentation par les approches collectives et l’accompagnement du passage à l’échelle des productions de biens et de services ;
  • l’émergence de nouveaux modèles en matière d’économie territoriale, où l’acteur aurait de meilleurs outils de médiation et de structuration pour activer les ressources territoriales et accroitre leur attractivité ;
  • fédérer et former une communauté locale capable de co-construire un projet de territoire viable, inclusif et durable.

L’enjeu est donc de taille pour ces territoires qui semblent en retard. Toutefois, ils ont plus de cartes à jouer que ce que n’osent imaginer leurs propres habitants et les différents acteurs locaux des centres-villes et des villages. Bien qu’ils soient aujourd’hui éloignés, tout porte à croire qu’ils sauront tisser des proximités et se saisir intelligemment de ces opportunités.

 

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